Rana Plaza, « dieselgate », PRISM, Cambridge Analytica… Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ces scandales n’ont ni vraiment nui aux grandes entreprises ni réellement transformé leurs pratiques. Pourquoi donc celles-ci s’entêtent-elles à investir dans la RSE ? Cette dernière doit-elle être repensée pour empêcher la répétition de tels scandales ?
Le 21 septembre 2015, une affaire de fraude sans précédent dans l’histoire de l’automobile secoue l’industrie allemande. Le groupe Volkswagen, leader mondial du secteur, est accusé par l’Agence de protection de l’environnement (EPA) américaine d’avoir élaboré un système truqué pour passer sans encombre les tests antipollution concernant 482 000 véhicules vendus aux États-Unis. Le jour même, l’entreprise enregistre la plus forte baisse de son action en une seule séance : sa capitalisation boursière chute de près de 15 milliards d’euros. Ce vent de panique semble pourtant avoir causé plus de peur que de mal à l’industrie allemande : un an plus tard, l’empire Volkswagen affiche une santé économique que l’on pourrait qualifier…
d’insolente. Sur les sept premiers mois de l’année 2016, ses ventes sont en hausse de 1,3 % par rapport à l’année précédente.
Plus spectaculaire encore a été le redressement de l’industrie de l’habillement après la tragédie du Rana Plaza, au Bangladesh. Le 24 avril 2013, l’effondrement de cet immeuble de 8 étages provoque le décès d’au moins 1 135 ouvriers du textile, employés majoritairement par les sous-traitants des plus grandes marques occidentales de la filière parmi lesquelles Primark, Benetton ou Mark & Spencer. L’accident jette une lumière crue sur l’impuissance de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) à protéger les droits (et la vie) des travailleurs à tous les échelons de la chaîne de valeur des multinationales. Là aussi, pourtant, l’impact économique du drame sur les entreprises faisant appel à ces sous-traitants est à peu près nul. Dans l’étude qu’ils consacrent aux conséquences économiques du Rana Plaza sur l’industrie textile en mars 2017, Brian W. Jacobs et Vinod R. Singhal, chercheurs en économie à l’université du Michigan, ne relèvent aucune réaction significative des marchés financiers dans les onze jours suivant la catastrophe, ni de fluctuation anormale des ventes.
Tous schizophrènes
Ce résultat ne surprend guère Michel Albouy, professeur senior de finance à Grenoble École de management : « Lorsque de pareils scandales industriels se produisent, on observe rarement de sanction généralisée de la part des consommateurs, en tout cas sur le long terme », note-t-il. « La grande majorité d’entre eux ne fera pas de relation entre le mauvais comportement de l’entreprise et son acte d’achat. C’est un comportement un peu schizophrène. » Et, de fait, un fort décalage s’observe régulièrement entre l’impact à peu près nul de ces différents scandales sur les ventes et la forte dégradation de l’image de marque qu’ils provoquent dans l’industrie touchée. Si les ventes de Volkswagen n’ont pas eu à souffrir du « dieselgate », la crédibilité du groupe en est sortie fortement entachée. Selon une étude réalisée par l’Observatoire Cetelem de l’automobile, 53 % des Allemands n’auraient plus confiance en leurs constructeurs automobiles.
L’impact sur l’image de marque suffit-il pour autant à justifier les moyens déployés dans des pratiques RSE par certaines multinationales ? « Investir dans la RSE, c’est se mettre en meilleure posture en cas de crise », analyse Jean-Pierre Chanteau, maître de conférences en sciences économiques à l’université Grenoble-Alpes et coordinateur de l’ouvrage Entreprise et responsabilité sociale en questions (Classiques Garnier, 2017). « Plus vous êtes une grande entreprise déployée dans le monde entier, plus vous avez de chances de découvrir un établissement au fin fond d’une filiale qui pollue ou ne respecte pas les droits de l’Homme. Si vos actions RSE vous permettent de plaider l’ignorance de bonne foi et d’être crédible pour y remédier, que votre entreprise mène ce combat de front depuis des années, vous limitez le risque pénal, le risque économique, et vous optimisez votre communication de crise. »